La sortie aujourd’hui (6 décembre 2023) du second film de Ladj Ly, Bâtiment 5, a rappelé à notre adhérente Florence un texte que lui avait inspiré la destruction d’une barre d’immeubles dans la Cité des 4000 à la Courneuve, il y a quelques années…
La cité en miettes
Infos de minuit sur RFI : l’homme a crié crié encore et encore son enfance s’est écroulée partie en fumée l’homme est atterré à terre est son enfance. « C’est fini » a-t-il dit « c’était devenu invivable, la page est tournée c’est un mal pour un bien » a-t-il dit. La barre de son enfance n’est plus qu’un tas de gravas. « L’ombre permanente d’entre les barres a laissé la place au vide, au soleil, à la vie » a-t-il dit. Il était treize heures une a dit RFL. Dans la voiture de Zohra j’y étais à treize heures moins une en route vers l’université pour l’examen, nous ne savions pas. Errance entre Saint-Denis et le Courneuve bloquées dans l’épicentre. Affiche géante sur les barres à démolir. L’autoroute est fermée, toutes les routes sont bloquées, les spectateurs affluent à pied. L’hélicoptère tourne au dessus de la banlieue Fuir, je ne veux pas voir, Zohra aurait voulu voir, mais l’examen ! Treize heures, nous avons trouvé un chemin. Treize heures une, la sirène, pourquoi la sirène ? Dans la voiture nous n’entendons pas l’homme crier. Dans la voiture nous ne voyons pas les deux barres sauter. Dans la voiture nous ne sentons pas la fumée. La cité des 4000 est en miettes. Que de cités traversées. Que de groupes scolaires où jadis j’ai travaillé. Les « suppléances éventuelles », les décharges de direction d’institutrice émiettée. La cité des 4000 devenue une décharge géante. Ces jeunes sont-ils les enfants de mes élèves ? Au retour après l’examen nous longeons le tas de gravas. L’épreuve était sur ordinateur. Je suis vidée, déconnectée. Mon fichier est en quatre morceaux émiettés, sans jeu de mots, réellement, pour de vrai. Je suis en miettes. Les barres de la Courneuve en miettes. Un pan de ma jeunesse en miettes. Une partie de mon travail en miettes. L’homme de RFI a crié, crié : « toute cette fumée ! » Toute son enfance en fumée. Le soir, Zohra a reconstitué le fichier sauvegardé et l’a envoyé à la prof. Dans mon ordinateur je vide le puzzle. Je suis vidée, déconnectée. Ramassons les miettes la page est tournée. Vidons la corbeille le page est jetée. Nuit sans rêve. Ce matin à cinq heures et demi les oiseaux pépient. Jeter les mots, laver les draps, écacuer les rêves de jeunesse.
Florence, non daté, début du XXIe siècle, Saint-Denis-Paris VIII.