Si vous voulez avoir une idée de la capacité du cinéma indépendant américain à surprendre, allez voir La vie rêvée de Miss Fran de Rachel Lambert. Vous y retrouverez Daisy Ridley, incarnation de Rey dans les Star Wars, ici complètement dépressive.
Nous sommes dans une bourgade portuaire de l’Oregon. Employée dans une entreprise à proximité du port, Fran ne se réalise que dans son travail de bureau, dans un « espace ouvert ». Taiseuse, imperméable aux bruissantes conversations de ses collègues. Elle est d’une timidité maladive, renfermée sur elle-même, insensible à l’agitation du monde. Une scène du film illustre cette incapacité à vivre en société : lors d’un pot de départ à la retraite, elle « chipe » une part de gâteau et s’isole avec chez elle. On rentre dans sa vie et ses rêveries macabres (pas le meilleur du film), une catabase où elle se voit morte et que l’on découvre dès le début du film comme illustrant son espace mental habité de chimères morbides.
Le film porte un regard attentif et poétique sur le monde. Il est conçu comme une mosaïque de petites scènes de la vie quotidienne. Rachel Lambert aborde la pathologie de son héroïne avec douceur. Le film a la délicatesse des pas de la biche que l’on voit au début du film descendant un escalier.
Le film m’a fait penser à une phrase de Hegel : « Au lieu de s’être jetée dans la vie même, elle s’est plutôt précipitée dans la conscience de son propre manque de vie. ». C’est exactement Fran : trop de conscience, pas de vie. Jusqu’à la rencontre de Robert, d’abord par missives interposées sur la messagerie de la boîte, ce qui amènera Fran à dialoguer avec lui, à s’évader de son monde intérieur apocalyptique. Une rencontre qui va ouvrir des portes qu’elle ne soupçonnait pas, lui permettant d’entrer dans un climat propice à la joie des sens au cours d’une soirée jeu de rôles, ou à la douleur dans une conversation avec une ex-collègue partie à la retraite et déversant soudain sa peine.
C’est ce que nous pouvons espérer en ce début d’année : changer le monde sans faire de bruit.
Un film à défendre.
Patrick Joffre