Si seulement je pouvais hiberner, de Zoljargal Purevdash

Un père mort. Une mère alcoolique. Et un petit frère, et une petite sœur. Que de responsabilités pèsent sur les épaules d’Ulzii ! Le garçon de 15 ans vit à Oulan-Bator avec sa famille dans un de ces quartiers où les familles pauvres issues de la campagne se regroupent. Un quartier privé d’infrastructures, fait de yourtes mal isolées pour traverser le rude hiver mongol. On se chauffe au charbon et quand on n’a plus de charbon, on cherche des cartons. Quand, grelottant de froid, le petit frère tombe malade, le spectateur pense au conte d’Andersen, La petite fille aux allumettes.

Mais Ulzii a quinze ans et l’énergie et les rêves qui vont avec. Se fait-il remarquer par ses bonnes notes dans les cours de mathématiques ? Il permet à un copain de copier sur lui, en échange d’une séance de patinoire. Entend-il des profs évoquer un concours de physique qui permet aux lauréats de toucher une bourse pour aller à l’université ? C’est l’avenir qui s’ouvre devant lui, l’espoir de s’en sortir, d’autant plus que son prof de mathématiques l’a remarqué et veut l’aider à s’entraîner.

Sauf qu’Ulzii a une maman défaillante. Fragilisée par la mort de son mari, qui l’a laissée seule avec la responsabilité de trois bouches à nourrir, elle s’est réfugiée dans l’alcool. Quand elle décide de retourner vivre à la campagne parce qu’il n’y a que là qu’elle trouve du travail, laissant par conséquent Ulzii s’occuper seul des deux plus jeunes, qui le sait ? Ni les voisins, ni les profs, ni la tante parvenue qui habite dans les quartiers riches. Personne. Parce qu’à cet âge-là, on ne se plaint pas. On endure.

Vous l’avez compris : Ulzii est tiraillé entre un désir d’émancipation et l’attachement aux siens. Pendant le ciné-débat, nous avons échangé sur l’universalité de cette histoire. « Dans le film ça se passe en Asie, mais ça pourrait se passer en Afrique, en Europe … à Montreuil ! »

Nous avons commenté aussi l’inanité des pouvoirs publics. Trois fonctionnaires viennent installer un filtre à fumée, avec pour objectif de purifier l’air que les trois enfants respirent ; mais pour le faire fonctionner, il faut de l’électricité, que la fratrie n’a pas. Les deux hommes installent quand même le filtre, parce qu’ils ont été missionnés pour cela, et la femme glisse à l’aîné l’adresse d’une soupe populaire, histoire d’être utile à quelque chose.

Petit à petit, nous devinons qu’Ulzii suit un chemin de croix. Les épreuves s’accumulent. Les tentations passent. Un voisin de son âge lui propose-t-il un plan pour gagner de l’argent facile ? « Je ne vole pas » répond l’adolescent. Sa dignité est une forme de sagesse avant l’heure. Ces paroles, cette posture lui permettent de ne pas sombrer dans la médiocrité.

Elles lui vaudront la plus belle phrase du film, prononcée par un vieux voisin compatissant, à l’heure de grandir, à l’heure de comprendre. A l’heure d’une scène magnifique, quand elle arrive on se dit que tout le film existe pour qu’elle advienne. Pour qu’adviennent les larmes retenues, les paroles qui libèrent, une fin lumineuse, cadeau aux spectateurs qui sont venus faire connaissance avec ces gens d’un autre bout du monde et pour qui nous ressentons une totale empathie.

Échange transcrit à l’écrit par : Isabelle Devaux.

La réalisatrice et les trois enfants… au festival de Cannes ! Le 21 Mai 2023.
Photo by Aurore Marechal/ABACAPRESS.COM