Quand Léa Glob, réalisatrice danoise, a rencontré Apolonia Sokol, au milieu des années 2000 par Skype, et que cette dernière a accepté qu’elle vienne la filmer pour faire son portrait – dans le cadre d’un exercice de fin d’études cinématographiques – l’artiste lui a donné son adresse à Paris et lui a dit : « Tu n’auras qu’à crier mon nom dans la rue, deux fois. » Et voilà comment le film Apolonia, Apolonia a été baptisé, par sa protagoniste principale, avant même que le tournage commence.
Quand elles sont venues au Méliès, vendredi 29 mars Léa Glob nous a expliqué que dès la première rencontre elle avait trouvé Apolonia Sokol si charismatique qu’elle n’avait pas pu s’en tenir à un court métrage. De fait, elle a passé 13 ans à la filmer ! Treize années pendant laquelle Apolonia Sokol s’est livrée comme elle avait été habituée à le faire depuis sa plus tendre enfance, puisque ses parents étaient un couple d’artistes qui filmaient tout, tout de leur vie.
Formidable documentaire, non seulement parce qu’il nous permet de suivre l’éclosion d’une peintre puis sa progression jusqu’à la reconnaissance par ses pairs, mais surtout parce qu’il montre tout ce par quoi elle est passée, y compris quand elle a côtoyé un mécène américain qui tenait plus du mafieux que de l’esthète et qu’un critique d’art lui a ouvert les yeux sur l’impasse dans laquelle elle était en train de s’engager : « Tous les personnages que tu peins ont l’air mort. » Elle s’en est sortie avec panache.
Il est rare de rencontrer une personne aussi libre et généreuse, parlant de ses collègues malchanceux, des artistes broyés par le business de l’art contemporain, nous invitant à soutenir la troupe de théâtre qui a repris le Lavoir Moderne Parisien, théâtre où elle a grandi et dans lequel une grande partie du film a été tournée. Nous retenant pour nous parler des associations auprès desquelles on peut se faire aider quand on a des proches dans la détresse, comme son amie Oksana Chatchko, figure poignante du film, jeune peintre ukrainienne, cofondatrice des Femen, qu’elle n’a pas pu, pas su retenir quand « ça ne l’a plus intéressée de vivre », comme dirait Christine Angot.
Et pourtant, « on est comme des épouses » avaient-elles constaté pendant une scène bucolique à la campagne, commentant leur façon de vivre ensemble, leur proximité. Oksana est très présente dans le film, aussi marquante, aussi inoubliable qu’Apolonia.
Troisième personnage du film : son autrice, Léa Glob. Elle ne s’attendait sans doute pas, en s’engageant à faire le portrait d’Apolonia, à le combiner avec un autoportrait. Prenant régulièrement la parole via une voix off qui décrit les lieux, les circonstances où elle retrouve Apolonia, mais aussi l’évolution de leur relation qui s’est muée en amitié, elle se raconte aussi, jusque dans un moment de grande fragilité, quand une grave maladie lui fait frôler la mort.
Voilà donc un film qui ne méconnaît pas la mort mais qui célèbre la vie, l’art, les artistes. Avec comme porte-étendard une jeune femme flamboyante, du genre qu’on a envie de suivre effectivement, du genre dont on ne se lasse pas.
Isabelle DEVAUX
Écoutez-les de bon matin sur France Culture, le lendemain de leur passage au Méliès.