BORDER LINE de Juan Sebastián Vásquez et Alejandro Rojas : bienvenue au royaume de Kafka !

Elena, jeune danseuse espagnole, a gagné un visa pour les Etats-Unis grâce à un concours auquel son compagnon d’origine vénézuélienne, Diego, l’a incitée à participer. Nous les découvrons dans l’avion par lequel ils quittent l’Espagne pour aller s’installer aux États-Unis. Bientôt, ils débarquent à l’aéroport de New York mais au guichet de la police des frontières, ils sont retenus pour être emmenés dans un bureau de l’immigration.

Voilà un film d’une durée inhabituellement courte, 1h17. L’unité de lieu et de temps favorise une tension qui va croissant, à mesure que nous découvrons, à l’instar des deux protagonistes, ce que leur veulent les deux agents qui les interrogent. A vrai dire, les motivations des deux fonctionnaires restent opaques, tant leur méthode est brutale et tyrannique.

Saisie des ordinateurs et des téléphones portables, privation de tout contact avec l’extérieur, questions d’abord factuelles puis de plus en plus insidieuses et intimes, tout cela sans aucune explication… Bienvenue au royaume de Kafka ! L’arbitraire imposé par les deux fonctionnaires de la police des frontières nous a rappelé celui à l’œuvre dans Chroniques de Téhéran ! Même processus d’humiliation, avec des questions qui nous ont semblé absurdes : qu’ont-ils besoin de savoir le nombre de rapports sexuels que le couple a par semaine ? Qu’ont-ils besoin de voir Elena leur faire une démonstration de danse dans la pièce exigüe où ils l’interrogent ? Il s’agit d’humilier ces candidats au séjour long, pour les rendre vulnérables, incapables de rien cacher… Il faut de la perversion pour exercer ce métier.

Durant 1h17, chacun d’entre nous s’est rappelé ses confrontations avec les figures représentant une autorité administrative, avec les abus de pouvoir afférents.

Qu’ont-ils besoin de révéler au grand jour un secret que Diego s’est bien gardé de confesser à Elena ? Ah si… cette vérité-là, il est logique qu’ils la révèlent. Outre qu’elle illustre une volonté de mettre à plat le passé, de l’essorer afin d’en extraire le moindre secret, elle questionne les motivations différentes des deux voyageurs. Elle montre aussi que maintenant que nous vivons et voyageons avec des ordinateurs et des téléphones portables qui contiennent une foule d’informations hyper personnelles, l’intime n’existe plus, face à une administration qui s’en saisit. Le plus dérangeant, c’est que les deux agents de la police des frontières posent des questions pertinentes… Évidemment, puisqu’ils en savent très vite plus que ce que chacun des membres du couple sait sur l’autre, grâce aux donnes personnelles auxquelles ils ont accès !

Nous avons aimé la profondeur des réflexions que le film a fait naître en nous. Au début, nous avons trouvé Diego sympathique. Petit à petit, nous l’avons découvert menteur, manipulateur. Nous nous sommes alors dit que ce système de loterie, qui permet de gagner un visa plutôt que de faire les démarches nécessaires pour l’obtenir, contient intrinsèquement les conditions d’une manipulation. Puis nous nous sommes demandé : qu’a-t-il d’autre comme porte de sortie, dans l’impasse où il se trouve ? Nous sommes passés par plein de sentiments qui nous ont interrogés sur la condition humaine des gens qui viennent de pays où il est difficile de vivre. À un moment, ils sont obligés de mentir et qui sommes-nous pour les juger ? Ferions-nous autrement ?

Le film est d’une cohérence implacable avec ses décors sans ouvertures et ses cadrages serrés qui enferment les personnages. Son montage ne laissant aucun temps mort, il nous a captivés de bout en bout, nous n’avons pas vu le temps passer pendant sa projection. En somme, c’était un très bon choix pour un ciné-débat !

Échange transcrit à l’écrit par : Isabelle DEVAUX