L’HISTOIRE DE SOULEYMANE, critique

Regarder L’histoire de Souleymane de Boris LOJKINE, est un voyage à plus d’un titre. D’abord, c’est un voyage au cœur d’une France méconnue : celle des immigrés africains vivant dans des abris au fonctionnement et à l’aspect quasi carcéral. Ensuite, c’est un voyage cinématographique qui débute comme une observation extérieure, presque documentaire, pour évoluer vers un portrait étrangement intime, malgré les circonstances des dernières scènes. Enfin, il s’agit bien sûr du parcours de Souleymane, qui cherche à obtenir l’asile.

Le film est célébré ici et là comme un « thriller haletant » et « bouleversant », un récit quasi-documentaire sur les épreuves des migrants sans papiers. Rien de plus inexact que cette description dithyrambique et pleine de fausses promesses. Pourtant, c’est un bon film.

Il faudrait dire que la structure du scénario n’est pas son atout principal. On assiste à une accumulation d’épreuves qui s’abattent sur Souleymane, l’action s’enlise parfois, et pourtant, grâce à une durée courte et judicieusement choisie, le film parvient à maintenir l’intérêt. L’histoire progresse surtout parce que l’échéance de son rendez-vous approche ou simplement parce que le temps passe. Les personnages ne semblent pas évoluer, et se limitent à encaisser les coups. Comment comprendre cette « maladresse » apparente ?

Pour répondre à cela, il faut aller au cœur de la question : Quelle est vraiment l’histoire de Souleymane, annoncée de manière si évidente dans le titre ? La réponse semble simple : c’est l’histoire d’un migrant guinéen qui souhaite obtenir l’asile politique en France pour aider financièrement sa mère malade, et qui travaille clandestinement comme livreur à vélo en attendant son rendez-vous administratif.

Cependant, une telle réponse passerait à côté de l’essentiel, car, en réalité, il y a au moins trois histoires de Souleymane : d’abord, celle qui occupe la majeure partie du film, comme évoqué précédemment ; ensuite, la fausse histoire que Souleymane doit mémoriser pour la raconter lors de son entretien ; et enfin, l’histoire véritable de son périple, autrement bouleversante, qui émerge lentement, par fragments, en filigrane, tout au long du film, avant de se présenter vers la fin.

Avec cette clé de lecture, le drame, d’abord caché, s’éclaire. Bien que le sujet soit fort, il ne s’agit pas seulement d’un récit sociologique, réaliste et cru sur le quotidien des migrants. Le film explore avant tout le drame intérieur d’un homme qui déteste le mensonge mais se voit contraint de mentir pour obtenir ce qu’il désire ou croit désirer. Pourtant, au fond de lui, il refuse à tout moment d’être un menteur.

Ainsi, L’histoire de Souleymane raconte la lutte d’un homme pour dire la vérité dans un environnement hostile, celui de Paris, où la sincérité semble être une erreur. Dès le début, Souleymane est poussé à mentir : il emprunte une fausse identité pour pouvoir travailler, puis doit apprendre une fausse histoire pour obtenir l’asile. Ceux qui l’aident lui demandent souvent de tricher. Mais un échange avec la police montre qu’il n’est pas fait pour cela. En revanche, sa copine, à distance, et son ami, tout près de lui, sont des modèles de sincérité, comme des voix venues d’un monde où la ruse n’a pas encore pris le dessus.

On dit souvent qu’au cinéma, il faut montrer plutôt que dire. Or, en l’absence d’une intrigue solide, ce film fait presque l’inverse : rien n’est vraiment montré, et le plus important doit être dit. Ou plus précisément : ce qui est montré est surtout l’absence d’une histoire véritable. D’où l’importance de « l’aveu », qui, dans ce cas, devient un moment où dire, c’est aussi montrer. Ce n’est pas un défi facile pour l’acteur, Abou Sangare, mais il le relève magistralement. Le jeu est émouvant, sincère, cathartique. La scène prend son temps, mais elle arrive au bon moment, mettant toute l’histoire en perspective et révélant des nuances que l’on aurait pu négliger au premier regard. Cela vaut bien l’effort d’aller voir ce film. 

Andrés CAMARILLO