Leni Riefenstahl, la lumière et les ombres de Andres Veiel

Eine Leni (1902- 2003), Contre-enquête

Qu’auriez-vous pensé de ce film, vous, la femme la plus célèbre d’Allemagne avec Marlène Dietrich ? Monstrueuse est la lumière braquée sur votre personnage par Andres Veies, votre statue en prend un coup. Jamais pourtant vous n’auriez reconnu être battue sur votre propre terrain, le montage qui superpose à vos affirmations vos propres images. Le fascisme s’insinue dans les corps, transpire sur la pellicule, Leni, l’ignoriez-vous ?

Artiste, apolitique, seulement guidée par son art, ignorante des horreurs commises tel est votre credo, terribles sont ces photos de vous dans les bras du Führer à qui vous déclarez votre flamme (Mon führer je pense à vous tout le temps). Et ces enfants tziganes que vous utilisez lors d’un tournage, qui brûleront dans les fours d’Auschwitch ? Quand on vous pose la question de leur devenir vous dites qu’ils sont en pleine forme. Et ces images hallucinantes de vous au Soudan manipulant durement des membres du peuple Noubas pour réussir une belle photo, vous affirmerez après coup : « Je me contentais de les observer de loin au téléobjectif  » ? Aujourd’hui encore Les Dieux du Stade (1936) ou Le Triomphe de la volonté (1935) sont amplement utilisés pour illustrer la doctrine nazie.   Peut-on se déclarer apolitique quand un art est aussi fortement lié à un parti, à une propagande terrifiante ? Pour les Dieux du Stade vous avez disposé de 40 caméras, d’une équipe de 120 personnes et rivalisé d’invention étonnante avec des images d’une beauté fascinante. Cela suppose a minima de ne pas refuser l’antisémitisme, non ?

Mensonges délibérés ou auto persuasion et déni ? Que saviez-vous des horreurs nazies, jusqu’où adhériez-vous à ces thèses ? Serviez-vous délibérément ou utilisiez-vous le National-Socialisme ? Pion ou propagandiste assumée, contrainte ou volontaire ? Les participants (nombreux, une cinquantaine) du ciné débat n’ont pu trancher tant le documentaire d’Andres Veies respecte la complexité de son sujet, c’est tout à son honneur.       

Votre génie du cadrage, de la lumière et votre passion totale pour le cinéma sont montrés, les seuls moments où l’on vous voit radieuse sont ces heures passées à filmer en contre plongée ou sur votre table de montage à commenter vos Dieux du Stade, et votre œuvre préférée la Lumière Bleue (1932).

Votre idéologie semble faible et votre arrivisme sans limite, a contrario d’un Céline ouvertement antisémite. Manipulatrice géniale, personnage surpuissant, fasciste à coup sûr car seule la beauté des corps parfaits vous émeut, vous méprisez les masses, les faibles ou plutôt vous ne les voyez même pas. « J’ai toujours vu plus le bon et le beau que le laid et le malade » dites-vous.

Nous avons dépassé l’éternel débat sur l’œuvre et l’artiste, ce n’est pas l’angle d’Andres Veies, au profit d’un questionnement ontologique sur le pouvoir mythologisant du cinéma, « le fascisme esthétise la politique, disait Walter Benjamin, et le communisme politise l’art ». Aujourd’hui la fabrication du story telling à des fins manipulatoires est monnaie courante (en témoigne l’excellent documentaire La fabrique du mensonge, sorti en 2021 d’Elsa Guiol, Felix Suffert Lopez et Arnaud Liévin). En ce domaine vous êtes une pionnière, Leni, qui n’avez cessé de peaufiner votre image, Andres Veiel l’a parfaitement montré. Son film est brillant, intelligent, parfaitement documenté à tel point qu’il semble à ce jour indépassable sur le sujet. Goebbels, Albert Speer, Adolf Hitler, ces noms parlent-ils aux jeunes générations ? On peut en douter. Les spectateurs ont exprimé un seul regret, l’absence de contextualisation du film, audible donc pour un public averti. Et vous Leni, en votre for intérieur, avez-vous des regrets ? Probablement pas car Leni n’existe pas, Leni est le mythe.  

Sylvie Boursier

Ciné Débat du 05 janvier 2025

Dossier de presse du film :