
Miroirs n° 3 a la tonalité vaporeuse d’une impression de soleil levant, tout est suspendu. Au début une Ondine (Laura jouée par Paula Beer) se mire dans un fleuve, sous le pont entre deux vilains échangeurs… pour y plonger ? Elle a ce regard immobile qui voit sans voir, absente au monde. Un Charon nautonier en noir pagaie au milieu de l’eau, l’invitant à rejoindre le royaume des morts. Et la nave va,ce n’est ni le jour ni l’heure, Laura reste sur la berge, elle flotte et le spectateur aussi, aimanté par ce regard intérieur.
Un coup de dé n’abolit pas le hasard mais le désir, si. La jeune femme sort indemne d’un accident de voiture qui a coûté la vie à son petit ami et sa rencontre avec une autre femme, Betty (nous voilà chez Chabrol) va jouer le rôle du Lapin blanc dans Alice au pays des Merveilles, l’entrainant dans une autre vie que la sienne. L’intensité du regard porté par Betty sur elle l’attire du chemin à la maison, deux plans d’une intensité folle se succèdent alors. Aux côtés de Betty la jeune femme distante au départ, va peu à peu réapprendre à marcher, sentir, écouter, peindre des clôtures, cuisiner des boulettes à la Königsberg. D’obscurs rapports se nouent entre elles, et l’on ne tarde pas à deviner que Betty se soigne en soignant Laura.


Dans une famille qui n’est pas la sienne et ne lui demande rien, Laura revit, qu’importe le rôle joué. La famille de Betty (Barbara Auer) explosée par un drame violent dont on ne saura rien, sauf à la fin, tente de recoller les morceaux comme elle peut. Quand le mari (Mathias Brandt) et le fils (Enno Trebs) apparaissent, le fragile équilibre pourrait être rompu mais il n’en est rien. Les deux comédiens jouent merveilleusement la gaucherie ne sachant pas où se mettre. Leurs regards en disent long sur l’invraisemblance de la situation, tandis que nous les voyons par les yeux de Laura. Ils savent tout faire, réparer un robinet qui fuit, une machine à laver qui dysfonctionne, un moteur grippé, mais réparer les âmes comment le pourraient-ils ? Alors ils improvisent et ça devient burlesque.
Une des plus belles scènes dure cinq minutes pendant lesquelles Laura et Max (le fils) écoutent de la musique ensemble. À la fin ils ne savent que dire alors ils rient. Ce ne sont plus leurs personnages qui rient mais les deux comédiens qui se regardent et réagissent en même temps avec une justesse incroyable. Il n’y a rien à jouer, seulement être.

Christian Petzold n’a pas peur des silences, des trous de mémoire, des collages syncopés. Son film glisse par soubresauts, multiplie les hors-champs et varie les registres dans une même séquence, ses personnages improvisent dans l’instant sans intention particulière. On navigue à vue. Deux femmes font un bout de chemin ensemble, et ce temps passé les sauve, c’est tout. À une époque où règne en maitre un cinéma du réel qui n’arrête pas de questionner le monde tel qu’il ne va pas fort, le réalisateur fait le pari de la révolution intérieure. Son film, en surface truffé d’incertitudes, de menaces sourdes, est en profondeur tissé de lancinantes questions sur comment survivre au suicide. Le réalisateur répond à cette question d’une voix blanche – ça s’appelle la poésie – en réhabilitant le pouvoir de l’imagination, la force du désir et des liens humains. Pourquoi ce titre Miroirs n° 3 ? Pour ça :
https://youtu.be/S3C4w43sdTM?feature=sharedhttps://youtu.be/S3C4w43sdTM?feature=shared
Sylvie Boursier
Photos © Les films du Losange
Photo Christian Petzold © Getty images
Miroirs n° 3 est sorti en salle le 27 août 2025.