
Un film d’Oliver Laxe sorti le 10 septembre 2025, 1h55.
« Comment peut-on avoir été à ce point martyrisée par un film, et en ressortir avec tant de douceur en soi, d’amour pour les humains… »
« C’est une poète ! » se sont exclamé ceux à qui j’ai lu cette réaction que ma sœur m’a envoyée en sortant de SIRÂT, d’Olivier Laxe. « Tou.te.s ceux qui aiment Sirāt sont des poètes… » leur répond-elle.
Et pourtant, ce film n’a pas fait que des heureux ! « On est sortis au bout de 10 minutes » ont dit les uns. « Plus ça va, plus je le déteste ! » a dit un autre qui ne « comprend pas comment on peut faire un film pareil ». Ceux-là ont en commun d’être musiciens et de n’avoir pas supporté le niveau sonore de la projection. « Ce n’est pas de la musique ! » a-t-on entendu, comme le dit Luis, le personnage joué par Sergi Lopez dans le film. Ce à quoi il ajoute que sa fille lui a répondu : « Cette musique n’est pas faite pour être écoutée, mais pour être dansée. »
Pour danser, ils dansent, les teufeurs qui se réunissent dans le désert marocain pour une rave-party clandestine (pléonasme). Ils dansent jusqu’au bout de la nuit et au-delà, jusqu’à leur épuisement, et même jusqu’à leur propre extinction s’ils le pouvaient. D’ailleurs, l’une d’entre eux était sur la scène de la salle n° 1 du Méliès, le jour où le réalisateur est venu avec ses acteurs principaux pour nous présenter le film, et elle a dit que mourir en dansant est la plus belle mort rêvée par les teufeurs.

Le film raconte un homme joué par Sergi Lopez, à la recherche, avec son fils d’une dizaine d’années, de sa fille disparue depuis 5 mois et vue dans une rave. Alors, cet homme et son enfant s’introduisent parmi la foule des raveurs, une photo de leur fille et grande sœur à la main, dans l’espoir d’avoir de ses nouvelles. Nous leur emboîtons le pas pour découvrir avec eux ce monde de cabossés de la vie. Ils sont tatoués de la tête aux pieds, ils fument pas que du légal, boivent pareillement, le son qui sort des enceintes est à son maximum et certains y collent leur tête, comme pour n’être plus que sensations, pulsations.
C’est un film électrochoc, qui scotche du début à la fin ceux qui l’acceptent, puis qui les hante dans les heures puis les jours qui suivent sa projection. C’est une expérience physique, d’ailleurs à un moment la musique est poussée tellement fort qu’elle nous traverse, nos fauteuils ont vibré, on l’a ressentie comme si on y était. On peut dire que c’est du cinéma expérimental, à la manière des films de Carlos Reygadas qui recherche des sensations plus qu’une narration classique.
Et pourtant, Sirāt raconte bien quelque chose. C’est même un film très cohérent, très bien écrit puisque chaque scène sert à faire avancer le récit. Aucune action n’est inutile. En même temps, le film joue sur les contrastes, les ruptures. À certaines scènes où la caméra colle au bitume, accrochée sous des camions lancés pied au plancher dans le désert, succèdent des scènes de nuit où on les distingue au loin par leurs phares serpentant lentement sur les lacets montagneux. Aux moments furieux où la techno sert de support à la transe, succèdent des bulles de musique électronique planante, comme pour nous cueillir en douceur après nous avoir projetés dans le vide. Derrière ses apparences de trip sous acide, c’est un film qui prend soin de nous.


Et puis, la beauté est partout. Beauté des paysages marocains, somptueux. Beauté des montagnes, beauté du désert. Beauté des corps mutilés, habités par des êtres à l’humanité si intense qu’on oublie qu’ils sont handicapés. C’est fort d’arriver à faire des modèles de corps abîmés. Les personnages trouvent leur épaisseur dans les relations qu’ils tissent entre eux, faisant une place au « normopathe » Luis (Sergi Lopez) quand il a besoin, à son tour, d’être entouré, enveloppé, soigné.
D’ailleurs, son personnage opère une révolution à 180 degrés. Au début, il a besoin des autres, il ne peut pas avancer sans eux. À la fin (sans spoiler, promis), c’est lui qui les guide, c’est lui qui les sort du pétrin. Comment comprendre son geste insensé ? Il n’a plus rien à perdre, il a tout lâché de ce qui le reliait à la vie, c’est peut-être pour cela qu’elle lui est rendue. Rarement un film aura autant mérité d’être qualifié de voyage existentiel.
Compte-rendu des débat tenus aux ciné-cafés des 13 septembre et 11 octobre 2025
Isabelle DEVAUX
Pour en savoir plus : Dossier de presse, et aussi les émissions de radio On aura tout vu et Plan Large.