« Transforme ta souffrance en point d’insertion pour les ailes. » Elle me revient en tête, cette phrase de Jean Sullivan, chaque fois que je vois un film ou que je lis un livre qui part d’une histoire terrible pour créer une œuvre d’art.
Qu’a-t-il vécu de la guerre qu’il raconte, le réalisateur de NAYOLA ? Ce n’est pas ça l’important. L’important, c’est ce qu’il en fait. De la boue et du pire dont sont capables les humains, il fait de l’or, une œuvre inspirante qui donne envie de s’élever au-dessus de sa propre vie pour s’enquérir de celles des autres. Qu’est-ce qui leur est arrivé, aux Angolais, pour qu’une guerre civile déchire leur pays pendant 27 ans, provoquant la mort de 500 000 d’entre eux et le déplacement de 4 millions de réfugiés ?
Il n’est pas tout seul, ce réalisateur. Il s’appelle José Miguel Ribeiro. Il a un scénariste, Virgilia Almeida, qui a adapté une pièce de théâtre de José Eduardo Agualusa. Le scénariste parle aussi d’un livre de témoignages de femmes publié par une Angolaise… Beaucoup de personnes, sans doute beaucoup de personnes ont contribué à ce que sorte un jour ce dessin animé incroyable.
Il raconte une femme qui part là où les hommes se battent, à la recherche de son mari disparu. Il raconte sa fille qui l’a à peine connue et qui lui en veut de l’avoir abandonnée. Il raconte sa mère qui s’occupe de la jeune révoltée et qui a réussi à lui transmettre de l’amour malgré la désolation et les destructions que la guerre a répandues autour d’elles.
On navigue dans le temps. Tantôt on est dans le temps de la guerre, dans des champs où la bataille fait rage et où Nayola, avançant entre mille dangers, montre la photo de son mari à tous les soldats qu’elle croise. Tantôt on est des années après la guerre à Luanda, la capitale de l’Angola. On y suit Yara, la fille de Nayola, une adolescente de 16 ans qui grimpe sur les toits pour rapper avec ses amis et qui se cache de la police car ses textes de lutte pourraient la mener en prison. Chez elle, c’est chez sa grand-mère, Lelena. Lelena est corpulente, parce qu’il faut du coffre pour supporter tout ce qu’elle a vécu. Elle parle d’une voix douce, sans jamais hausser le ton. Une nuit, un voleur masqué s’introduit chez elle. Il a faim, elle lui donne à manger. Il s’empare du journal que Nayola tenait avant de partir à la guerre ; mais comme ce cahier, c’est tout ce que Yara a hérité de sa mère, elle est prête à le découper en morceaux, le voleur ! Lelena s’interpose, apaise les tensions. Plus tard, une longue conversation s’engage entre la grand-mère et le voleur. Une conversation essentielle.
Il y a des moments magiques, où la rationalité est priée de passer dans la pièce d’à côté. C’est la nuit, dans le désert. Nayola est inconsciente. Un homme tire à l’arc sur la lune sauf que son arc, c’est un serpent. Au bout de la queue du serpent, l’homme et ses compagnons, ils sont plusieurs, attachent Nayola inconsciente, dans le ciel. Imaginez la lune. De la lune descend, tendu comme un fil, le serpent. Au bout du serpent, Nayola, la tête en bas, suspendue dans le vide. Au bout d’un moment, elle se met à vomir et ce qu’elle vomit, c’est la guerre. Des armes sortent de sa bouche, des chars, des avions de combat, tout cela se fracasse au sol, des centaines de mètres plus bas.
Il ne faut pas que je vous en dise plus. J’espère que vous le verrez. Des phrases sont dites, comme échappées d’un poème. « La guerre n’a pas un visage de femme » a dit quelqu’un, un jour, à Svetlana Alexïevitch. Mais les femmes autant que les hommes sont touchées par la guerre et ces trois-là sont inoubliables.
Isabelle DEVAUX
Le dossier de presse du film :
Et le dossier pédagogique :