Voir un film c’est bien, partager nos impressions c’est encore mieux. C’est pourquoi l’association Rencart au Méliès anime des rencontres flash en sortie de salle. Le ciné débat du 23 septembre, après la projection des Feuilles mortes, d’Aki Kaurismaki, donne une idée de ces échanges.
Le scénario est typique du cinéaste finlandais. Ansa, caissière dans un supermarché sinistre, licenciée parce qu’elle vole un produit périmé qui, dixit le chef du personnel, « appartient à la poubelle » rencontre Holappa, viré pour alcoolisme au travail. Coup de foudre immédiat des deux laissés pour compte, mais une série de quiproquos plus ou moins hilarants vont les séparer car c’est bien connu « la vie sépare ceux qui s’aiment tout doucement sans faire de bruit » jusqu’à l’image finale, magnifique hommage à Chaplin qu’A K admire tant.
« Il n’y a plus beaucoup d’humanité dans ce monde. Mais c’est tout ce qu’il nous reste. » Chez un autre que Kaurismaki, cette déclaration paraîtrait lourdingue mais chez lui, aucun pathos. Un désespoir mêlé de tendresse émerge de ses cadrages serrés avec des personnages face caméra, comme des petites miniatures sur un fond dépouillé. Les gestes d’entraide abondent et l’humour du cinéaste a été relevé, politesse du désespoir à la Jim Jarmusch. A Cannes, Aki Kaurismaki répondait à un journaliste qui le remerciait de ne pas avoir mis de désespérance absolue dans son film : « Le désespoir est derrière la caméra. » Ses héros ont le sourire intérieur, comme lui. Holoppa boit parce qu’il est déprimé et est déprimé parce qu’il boit, « raisonnement circulaire » lui rétorque son ami.
On apprécie l’éloge de l’introversion, le coté taiseux de ces gens victimes de la violence sociale sans se révolter. Ils n’attendent rien de toutes façons, sauf de pouvoir s’échapper en rêve dans les bars à karaoké et dans les salles de cinéma. A une époque d’enflures verbales à tout crin, Kaurismaki, encore une fois, sort des sentiers battus et compose une œuvre avec des petits riens.
Le réalisme des situations socio politiques coexiste avec une grande stylisation des images. Comme un peintre, AK use d’aplats aux couleurs chaudes sur fond gris, bleu ou noir, ainsi lors d’une scène mémorable en sortie de cinéma devant les affiches de films cultes d’Ozu, Bresson, Godard, Visconti. On se croirait par moments chez Hopper, avec des personnes seules perdues dans des intérieurs vides. Kaurismaki a une signature, on reconnaît son esthétique dès les premières minutes de projection. La guerre en Ukraine en fond sonore à la radio est très présente et il a été rappelé que la Finlande tient à sa neutralité, position de plus en plus difficile à avoir quand on partage 1000 km de frontière avec la Russie. Le contraste entre des situations sociales déprimantes et une sorte d’artificialité vintage de l’image contribue au charme de ce film.
Courez le voir !
Sylvie Boursier
Pour aller plus loin : teaser et l’émission On aura tout vu du 16 septembre 2023, où Pierre Salvadori est invité à commenter le film et le fait avec éloquence, avec son oeil de cinéaste qui sait comme personne détecter la finesse et l’élégance du moindre gag kaurismakien…