Et la fête continue ! proclame l’affiche du dernier film de Robert Guédiguian… Vraiment ? Continue-t-elle, la fête, alors que Marseille est remplie de logements insalubres et que deux immeubles se sont écroulés sur leurs habitants, rue d’Aubagne, le 5 novembre 2018 ? Alors que la gauche, dont les différents courants devraient s’unir pour remettre l’humain au cœur de la politique, est éparpillée façon puzzle par les égos surdimensionnés qui la constituent ? Nous reviendrait-il en petite forme, Robert Guédiguian, avec cette fable désenchantée autour d’une famille unie et composée d’êtres qui s’entendent si bien qu’ils semblent des pantins articulés par un metteur en scène tellement accablé par notre société contemporaine qu’il renonce à la représenter telle qu’elle est ?
« Ici, il n’y a ni bourgeois, ni racistes, ni fascistes » dit un communiste façon : « quand il n’en restera plus qu’un, je serai celui-là ». Manière pour le cinéaste de nous dire : « Arrêtez de me demander de représenter la réalité, elle me fatigue. » Alors, il filme les acteurs qu’il aime, on sent qu’il aime aussi les vraies personnes qu’ils sont, et il nous fait aimer les retrouver dans chacun de ses films. Ils sont tous sur l’affiche : Ariane Ascaride bien sûr, mais aussi toute la bande de fidèles : Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Robinson Stévenin, Grégoire Leprince-Ringuet, Lola Neymark et la dernière arrivée, Alicia Da Luz Gomes qui était déjà tout en haut de l’affiche de son précédent film, Twist à Bamako.
Nous avons été quelques spectateurs à nous réunir après le film pour convenir qu’il avait de belles qualités et quelques défauts. Pour le meilleur : l’humour, à travers Tonio, fier de tenir son prénom d’Antonio Gramsci, le fondateur du parti communiste italien, et qui s’endort presque avec son chapeau, un livre intitulé « GRÈVES » couché en travers de son torse. A travers Sarkis aussi (Robinson Stévenin), tellement amoureux que son enthousiasme et son ravissement devant sa belle nous font rire autant qu’ils nous attendrissent.
Pour le moins bon : l’artificialité des personnages porte-idées et la multiplicité des sujets abordés, qui transforme le film en catalogue foutraque : le mal-logement à Marseille, les conditions de travail et de soins dégradées dans l’hôpital public, le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, les difficiles retrouvailles d’un père longtemps absent et de sa fille adulte, la division de la gauche, adopter des enfants versus fabriquer les siens propres… N’en jetez plus !
Mais nous avons aimé l’ambiance des quartiers populaires de Marseille, restituée avec justesse. La beauté des retrouvailles du père longtemps absent et de sa fille. Au début ça grippe, il y a des ratés à l’allumage, mais quand elle a vraiment besoin de lui, il sait être présent et ce ré-apprivoisement de deux êtres qui n’auraient jamais dû être séparés aussi longtemps a bouleversé une spectatrice qui est sortie de la séance émue aux larmes.
Nous avons aimé la leçon que ce père donne à sa fille quand elle a un discours à préparer : « Le fond tu le maîtrises alors travaille la forme. Le plus important pour faire passer un message, c’est la forme. » Nous avons aimé les haïkus qu’il lui envoyait sur des cartes postales, du temps où il était absent. Nous avons aimé la phrase de Rosa à son fils, à l’heure de prendre une grande décision : « Ce qui compte, ce ne sont pas les liens du sang, c’est la culture. » Nous avons même aimé l’optimisme forcé de la fin, et les remerciements du cinéaste à des poètes, dans le générique final.
Échange transcrit à l’écrit par : Isabelle Devaux
Pour en savoir plus, écoutez Robert Guédiguian dans On aura tout vu sur France Inter et dans un entretien intéressant parce que centré sur son utilisation de la musique dans ses films et dans celui-ci en particulier, sur France Musique…