L’homme d’argile, d’Anaïs Tellenne

Après la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie des Chants de Maldoror, voici celle improbable mais très fructueuse entre un colosse sylvestre cyclopéen et une châtelaine artiste conceptuelle, la dame en bleue.

Dès le début du film nous sommes plongés dans l’univers des contes et légendes par l’illustration du manoir que nous serons invités à visiter et la reproduction miniature d’un « Golem » appelé à grandir.

Le film est porté par la performance subtile et troublante de Raphaël Thiéry, comédien, principal inspirateur du film.  Raphaël est enfermé dans son quotidien fait de chasse aux taupes, de rencontres polissonnes avec l’amante postière du village, de musique de cornemuse au milieu d’une piscine vide.

C’est dans ce milieu morvandiau qu’il arrivera à s’émanciper de ce quotidien après qu’il aura rencontré Garance débarquée là une nuit d’orage, au bord de la crise de nerfs. Un territoire comme prolongement de son corps : « vous êtes comme un paysage, je pourrais passer des jours à vous parcourir » lui déclarera Garance. Le corps comme œuvre d’art : celui de Garance divisé par des pointillés, celui de Raphaël dont Garance fera « sa muse » (« son museau » a souri Emmanuelle Devos pendant la rencontre qui a suivi le film, le 26 janvier)

Cette rencontre lui permettra de vivre une belle aventure romantique et poétique, loin des rodomontades à dominante masculine : c’est par un geste délicat que cet homme au physique hors norme mais plein de sensibilité, s’empare d’un drap pour couvrir le corps endormi de Garance jusqu’au cou.

Le film pose la question du regard porté sur soi : qu’est-ce que ça fait quand on est regardé ? Réponse mélancolique de Raphaël qui s’exprime par le corps et le physique mais aussi à travers sa cornemuse dont le son emplit les lieux. Il faut souligner l’importance de la bande son qui participe aussi au mystère, notamment lorsque Raphaël s’infiltre dans le château pour tenter de comprendre ce qu’il s’y passe.

Le récit se déroule dans un décor quasi unique et progresse selon une écriture faite de tours et de détours, de manière sinueuse : on passe du romanesque au trivial, du chaud au froid, du doux au rugueux. Raphaël est mutique, Garance est loquace. A la ligne mélodique de la cornemuse s’opposent les paroles crues de la vieille mère (« pour qui elle se prend celle-là ! », « c’est pas à 58 ans qu’on fait une crise d’adolescence  ») et celles triviale de la postière.

La présence de Garance a transformé Raphaël : quel en sera le prix ?

Patrick JOFFRE