« Je considère la télévision, le cinéma, la presse, le journalisme comme des grands moyens d’avilissement et de crétinisation des foules », disait Dali avec le sens de la nuance qui le caractérisait. Il les faisait tourner en bourrique, chacune de ses apparitions devenait un évènement, une performance dirait on aujourd’hui. Quentin Dupieux surfe sur le Dali « bête de foire » pour camper un artiste insaisissable qu’une journaliste tente vainement d’approcher.
Quatre comédiens pour un seul Dali, belle performance, avec le même accent guttural assorti de claquement de langue, les proclamations tonitruantes, les yeux qui roulent, les cannes qui fustigent le ciel et les moustaches lasso pour gober les oiseaux. Le maitre dynamite la mise en scène médiatique au point de devenir une caricature, une marque duplicable à l’infini à l’image de la célèbre pub sur le chocolat Lanvin. Le film dans l’esprit surréaliste, superpose des plans sans lien entre eux, cadavre exquis hénaurme d’une transgression exhibitionniste avec projection du rêve et de l’inconscient, la répétition à l’infini d’une même figure diffractée dans tous les sens, la superposition d’objets usuels insolites. Il pleut des chiens et les ânes avancent en reculant. On se demande comment tout peut tenir et pourtant ça tient grâce à un fil conducteur solide, des acteurs au top qui n’essaient pas d’imiter l’artiste mais s’en imprègnent, mention spéciale à Edouard Baer, on croirait le film fait pour lui. Face à ces hurluberlus Anais Demoustier, la journaliste, incarne la normalité et tient le choc, pas si facile de jouer la banalité candide, bravo à elle.
Corrosif, le film égratigne au passage le milieu machiste du cinéma avec un producteur imbuvable joué par Romain Duris, où domine l’entre soi, l’argent y fait loi et tout est affaire d’emballage, Dali n’aurait pas démenti. Il n’épargne pas non plus le monde de l’art quand il veut nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Les boucles incessantes de la fiction tentent d’arrêter le temps comme si l’âge n’avait pas de prise sur l’artiste hanté par la mort. Mais son double vieillissant le rattrape et face aux apparitions de son effigie spectrale l’artiste s’écrie « c’est moi ça », moment intense ou le roi est nu.
Chapeau au réalisateur pour ses inventions, sa liberté, la beauté formelle du montage, sa maitrise des travellings fractionnés, sa direction d’acteurs. Il fait ce que le cinéma devrait toujours faire, nous surprendre, nous emmener ailleurs, autrement ; à l’heure où domine la bien-pensance et où l’humour ne cesse de se policer, ce film artisanal nous touche avec ses coutures et ses raccords. A consommer sans modération !
Sylvie Boursier
Daaaaaali de Quentin Dupieux sorti en salles le 07 février