Los Delincuentes, de Rodrigo Moreno

Ces dernières semaines nous viennent d’Argentine de grands films, amples, complexes, beaux avec des personnages nouveaux. Après Eureka de Lissandro Alonso, voici Los delicuentes de Rodrigo Moreno. Une merveille, une formidable épopée avec des anti-héros. Des films qui sont les signes de la vigueur du cinéma argentin.

Moran veut s’assurer de quoi survivre et anticiper sa retraite. Sans chercher à réaliser le coup du siècle, tout tranquillement, il dérobe de l’argent d’un coffre de la banque l’employant et le confie à son collègue Roman. La somme correspond aux salaires des deux « braqueurs » jusqu’à leur retraite. Et voici nos deux pieds nickelés unis dans un même larcin, désireux de s’extraire d’un quotidien laborieux pour se la couler douce, Moran même au prix de trois années d’emprisonnement. Le plan se déroule sans accroc jusqu’au moment où la méfiance de la banque à l’égard de ses propres employés va faire dérailler le scénario prévu.

La durée du film, plus de trois heures, peut effrayer mais le rythme du film en deux parties est très maîtrisé. Au début, c’est un film de braquage qui évoluera vers le conte philosophique et poétique, une rencontre amoureuse venant influencer la trajectoire des personnages. Du morne quotidien de Moran illustré par un plan sur le costume qu’il endosse pour aller au boulot, par la description des tâches ennuyeuses qu’il exerce, on passe de la ville de Buenos Aires aux couleurs maronnasses aux lumineuses montagnes et rivières argentines, une sorte de retour à la nature.

Loin des films de braquage, le film ressemble plus à un film d’été d’Éric Rohmer fait d’amour, de baignades et de jeux en plein-air dans la province de Cordoba, d’éveil au sensoriel.

Des ressorts narratifs minuscules et une mise en scène brillante : scènes répétées deux fois, quelques « split screens », flash-back, expérience double avec une femme, cadres d’une grande beauté formelle, un peu d’humour, liberté de ton et du récit, jeux avec les chronologies, goût pour les anagrammes : Moran, Roman, Norma, Morna. Scénaristiquement, un exercice de style brillantissime.

Une idée de la vie dénonçant un système de prédation des richesses et l’aliénation au travail où l’argent reste caché sous une énorme pierre en haut d’une colline, la conquête de la liberté se faisant par le dépouillement.

Patrick JOFFRE

Écoutez le réalisateur Rodrigo Moreno, accueilli samedi 30 mars par Antoine Guillot dans son émission Plan Large.