Reines, de Yasmine Benkiran

Il n’y a pas que Cannes en ce moment, il y a aussi les films qui sortent pendant le festival. Pendant que se déroule le grand raout cannois sortent de très bons films ne bénéficiant pas de beaucoup de visibilité. C’est le cas de Reines, le premier long-métrage de Yasmine Benkiran, cinéaste franco-marocaine.

Zined (toujours aussi réjouissante Nisrin Erradi) s’évade de prison à Casablanca pour récupérer sa fille confiée à des services sociaux. Elle prend en otage la conductrice d’un camion (Asma) afin d’échapper à la police. Et nous voilà partis pour une longue cavale dans l’Atlas, ses roches rouges, ses vallées en fleurs pour rejoindre le grand Sud et l’Atlantique pour s’y cacher. Une “cavale féministe”, mais sans les codes et le didactisme rebattus du genre, le film développant ses motifs propres, le principal étant l’enfermement, qu’il soit carcéral, social ou familial. Asma comprendra que cette subite captivité est sa planche de salut pour échapper à un mariage forcé et ce qui en découle.

Le film articule plusieurs idées. La représentation d’un Maroc sans effet de carte postale. Point de folklore, plutôt un terrain de cinéma avec une référence au genre – le western, le road trip américain, le film de cavale. Le film décrit aussi les tensions sociales sans être trop démonstratif et notamment sur le statut des femmes : à la fois autonomes de fait, présentes dans tous les métiers mais aussi plus fragiles dans certaines circonstances : dans une scène, Zineb manque de se faire lyncher par un groupe d’hommes. Tous les personnages féminins sont pris au piège dans une société qui légitime, à tous les niveaux, la domination. Avec le paradoxe qu’incarne la commissaire Batoul (Jalila Talemsi), car elle doit faire preuve d’un autoritarisme rigide allant jusqu’à effacer ce qui fait d’elle justement une femme.

Les courses poursuites dans le désert, les retournements et les effets de suspens sont bien dosés et enrichis par un substrat magique œuvrant sous la forme d’un conte traditionnel auquel la petite fille croit très fort, celui de Aïcha Kandisha, sorcière mi-ange mi-combattante aux pieds de chèvre. Inès tient un carnet où elle dessine ses songes, sa mère Zineb l’écoute sans vraiment la croire, contrairement à la jeune épousée Asma. Ce conte traditionnel donne au film une dimension poétique : la tonalité élégiaque de la fin du film l’illustre magistralement.

Un film qui fait penser à un autre film marocain sorti il y a quelque temps, Déserts, signé Faouzi Bensaïdi. C’était aussi un road trip, celui d’un couple d’hommes cette fois-ci, deux agents de recouvrement partis depuis Casablanca vers les villages de l’Atlas : une trajectoire identique. Ces deux films entrant en écho forment comme une image neuve et féconde du Maroc et de son cinéma.

Patrick JOFFRE

Les cinq reines de cette histoire de sororité sont trois fugitives, une policière et une légendaire.

Afin d’éviter un placement judiciaire à sa fille, une taularde armée l’entraine dans sa cavale en raptant un camion qui transporte des paraboles. La conductrice glisse de la contrainte à la complicité.

La fillette conserve précieusement un cahier magnifiquement dessiné où un conte lui pose une énigme : “Laisse-toi guider par les couleurs et la malédiction sur la reine des djinns sera brisée.

Les couleurs franches des maillots des protagonistes tranchent sur le fond sablonneux du paysage. L’errance libératrice serpente entre la sinistrose du réel et la splendeur du désert ; l’ingéniosité de la débrouille et la magie du mythe. De la fausse piste à l’indice, quelle sera la couleur salvatrice ?

Bémol à la présence musicale : quand, ivres d’un abandon fugace, les trois fugitives dansent sur la falaise surplombant la mer, pourquoi couvrir le souffle du vent et la cadence des vagues rythmant les corps, par une musique briseuse d’imaginaire ?

Peu importe que la soif de liberté accède au rêve, aboutisse à la mort, ou les deux à la fois, cette échappée ouvre une brèche vers l’émancipation. La réalisatrice offre au cinéma marocain une perle frondeuse et fortifiante.

Florence