Coconut Head Generation a obtenu le Grand Prix au festival Cinéma du Réel en 2023.
Coconut head generation, vraiment ? Les ont-ils seulement écoutés, ceux qui leur ont donné ce sobriquet ? Certainement pas, car nous spectateurs, nous les avons écoutés avec un intérêt croissant, ces étudiants nigérians qui débattent dans le documentaire qui s’est donné le nom que les méprisants leur donnent : « génération tête de noix de coco », c’est-à-dire têtes dures et vides comme une noix de coco ! Dures, peut-être, tant il faut de persévérance face à une caste qui s’est approprié le pouvoir et qui réprime toute contestation dans la violence. Vides, certainement pas !
Jugez plutôt : un groupe d’étudiants de l’université Ibadan, « la première et la meilleure » selon l’adage qui la désigne depuis sa création en 1948 par les colons anglais, a fondé un ciné-club hebdomadaire. Tous les jeudis, ils regardent ensemble un film, dans une salle de l’université aménagée en salle de cinéma. Quand les lumières se rallument ils exposent toutes les idées et réflexions que leur inspirent le film. On dirait nos ciné-débats et nos ciné-cafés ! Sauf que j’ai passé toute la projection à me demander si nos propres débats ne sont pas un peu faibles, comparés aux leurs !
Le premier auquel nous assistons concerne la restitution par les musées occidentaux des objets d’art volés aux Africains pendant la colonisation. Un jeune évoque l’argument post-colonial selon lequel ils (les Africains) ne seraient pas équipés pour conserver leurs objets d’art comme nous le faisons dans notre musée du quai Branly, n’est-ce pas. « Ils les ont volés ! répond-il. Alors peu importe ce que nous en ferons. Cela ne les regarde pas. Ils sont à nous ! » Ils viennent de regarder Les Statues meurent aussi, bien sûr, et on pense au débat des étudiants de Niamey, dans Dahomey de Mati Diop. En voyant trois statues de bois dans un parterre de verdure, au sein de l’université, autour duquel cheminent quotidiennement les étudiants, on songe aussi que leurs statues ne sont pas destinées à être enfermées dans des cercueils de verre. Elles sont destinées à vivre parmi les vivants !
Entre deux débats, le réalisateur Alain Kassandra filme des scènes de leur quotidien, leur toilette, leurs matchs de football (féminin puis masculin), leurs balades du soir dans la ville d’Ibadan…
Avant le deuxième débat, le beau visage d’Angela Davis occupe tout l’écran. Elle raconte un attentat raciste vécu pendant son enfance, où une bombe avait déchiqueté des corps noirs. Et s’étonne après cela que les journalistes passent leur temps à l’interroger sur la violence de mouvements comme celui des Black Panthers. Les spectateurs sont toute ouïe. Suit l’intervention d’un étudiant qui exprime avec éloquence et crudité combien il est lassé du cynisme des politiciens qui font campagne tous les 4 ans pour obtenir leur vote, avant de les violer symboliquement par toutes les lois et les détournements d’argent qui les appauvrissent et bouchent leur avenir.
Le troisième se déroule après la projection d’un documentaire sur le deuxième mariage d’un homme polygame, au Cameroun. Une voix off française commente la détresse de la première épouse et des sous-titres anglais permettent aux étudiants nigérians de comprendre ce qui se dit. Suit un débat sur la cause des femmes et on se croirait chez nous ! Un jeune homme affirme que les hommes ne doivent pas être exclus des débats féministes. Un autre annonce avec fierté qu’il espère avoir des enfants filles, comme si ce simple souhait faisait de lui un féministe. Un troisième commence à dire : « Depuis quelques années on nous dit : « On ne doit pas battre sa femme », mais… » et il n’a pas le temps de continuer parce qu’une étudiante qui n’en peut plus les rabroue tous les trois avec virulence. Je ne retranscrirai pas ici ses propos parce qu’il faudrait les enregistrer pour les écrire mot à mot tellement c’est brillant, brillant, brillant !
Alors certes, il y a un travail de montage qui fait que tous les échanges auxquels nous assistons sont percutants, pénétrants, éminemment politiques. Ce qui impressionne, c’est que même ceux qui parlent longtemps ne parlent pas pour ne rien dire, notre intérêt ne s’émousse jamais.
Je continue ? Bah non, va falloir y aller chers lecteurs-spectateurs ! Promis : ils rempliront vos têtes de pensées, de réflexions, de connaissances, car dans les leurs, de têtes, flotte autre chose que du lait de coco !
Isabelle DEVAUX