Indomptables, de Thomas Ngijol

(Dans ce texte, il est fait allusion à un débat, un échange que Thomas Ngijol a eu avec les spectateurs, au Méliès, le 12 juin 2025. Ce débat est ).

Dans les pièces de théâtre les plus sombres de Shakespeare (Le Roi Lear, Hamlet, Othello, Macbeth), il y a toujours des scènes qu’on pourrait qualifier « d’interludes humoristiques », où un bouffon, ou bien des personnages n’ayant qu’une scène mais des dialogues pleins de drôlerie, en faisant rire les spectateurs, leur offrent une respiration. Bien des grands écrivains, dramaturges et jusqu’à certains cinéastes ont retenu la précieuse leçon, comme Thomas Ngijol qui, tout en nous faisant suivre une enquête poisseuse dans les bas-fonds de Yaoundé, nous fait rire de scène en scène, sans que l’humour soit au premier plan mais en le déployant plutôt en filigrane, avec finesse, emportant notre adhésion parce qu’il a la délicatesse de nous offrir ce rire qui soulage, ce rire salvateur.

Comme tout bon polar, Indomptables offre un portrait en coupe de la société dans laquelle il s’inscrit. Soit Yaoundé, la capitale camerounaise, avec ses rues encombrées d’échoppes, de voitures et de piétons, ses trafiquants, ses camés et ses violences policières tout droit héritées des pratiques coloniales. « Vous voulez parler de la chicotte ? » a répondu Thomas Ngijol a la spectatrice qui l’interrogeait, justement, sur la récurrence de ces violences policières dans son film. Du nom de ce fouet utilisé contre les Indigènes et les esclaves par le capitaine Chicot puis par tous ses émules, d’abord au Congo puis dans toutes les colonies.

Le commissaire d’Indomptables est moins cruel, mais la violence contre les bandits étant institutionalisée, il y a recours, comme ses subordonnés. Il enquête sur le meurtre d’un collègue et chaque soir, il retrouve femme et enfants autour de la table du dîner. Le film trouve son équilibre dans cette alternance entre les scènes au sein du foyer familial et celles où l’enquête progresse, lentement mais sûrement.

À la maison, son autorité est mise à mal. La première scène nous le montre morigénant un de ses fils, adolescent, qui rentre excessivement tard à la maison. Il a beau le congédier sur une dernière réplique glaçante (si on est son fils) et savoureuse (si on est un spectateur), le fils recommencera. Quand sa fille partie fâchée lui reproche de consacrer tout son temps à son travail, il ne trouve rien à répondre. Et quand il tente d’imposer sa loi à la maison, il a affaire à sa femme et ce n’est pas peu dire. Impossible d’être un patriarche avec une épouse pareille. Elle est interprétée par Thérèse Ngono dont Thomas Ngijol nous a dit tout le bien qu’il en pense, et combien il espère qu’elle accèdera aux grands rôles qu’elle mérite, qu’on se le dise !

Au travail, il rencontre des camés ayant atteint un tel degré d’inconscience que leur interrogatoire tient de la farce. La corruption tue. L’enquête le conduit dans des quartiers où le sol est en terre battue, à l’extérieur comme à l’intérieur de logis qui ont poussé là comme des mauvaises herbes. Ces logements insalubres abritent des miséreux qui ont tant de mal à survivre qu’ils n’ont plus peur de rien et surtout pas de la police. Quand, poussé à bout, il frôle la bavure, le commissaire Billong rentre en écoutant Marvin Gaye dans sa voiture, pour se calmer. Avec son costard tiré à quatre épingles et sa pince à cravate, élégant en toutes circonstances, il ne se décourage pas. Même sa conscience de ses propres erreurs n’a pas raison de sa persévérance. Cela aussi, c’est élégant.

Indomptables passe jusqu’au 1er juillet au Méliès. Courez-y !

Isabelle DEVAUX

Élégant en toutes circonstances… © Pan Distribution.