On vous croit. La phrase qui sauve.

Qu’est-ce qui peut expliquer que ce film de deux réalisateurs belges, Charlotte Devillers et Arnaud Dufeys, ait remporté à la fois le prix du jury Renc’Art au Méliès et le Prix du public, au dernier festival de Montreuil ? À première vue : la force de son sujet. Pourtant, un fim ne devrait pas tenir que par son sujet mais justement, le dispositif de mise en scène mis en place par les réalisateurs sert ce sujet. Donc, ce qui a valu au film ces deux prix, c’est sans doute plutôt : la force de sa mise en scène. Et c’est heureux.

Soit une mère de deux enfants, une adolescente et un pré-adolescent, obligée de revenir au tribunal réaccuser son ex-mari d’avoir violé leur fils, parce qu’il a fait appel du premier procès. Elle est venue avec ses enfants mais ils ne sont pas présents dans la pièce où se déroule le procès en huis clos. Dans un décor froid, gris, un bureau moderne dans un immeuble d’acier et de verre, se retrouvent les deux ex-époux, leurs avocats respectifs et la juge. Chacune des deux parties doit présenter à nouveau ses arguments.

Nous, spectateurs, sommes projetés dans ce huis clos. Le format du film est carré, ce qui renforce l’impression d’étroitesse, d’enfermement. Pas le temps de respirer, le film dure 1h18. C’est-à-dire pas beaucoup plus que l’extrait de vie qu’il nous présente. L’action doit tenir sur 2 heures, pas plus. Les quelques respirations que le film offre hors de cette pièce sont elles aussi suffocantes : le père essaie d’entrer en contact avec ses enfants, ce qui met le fils en panique. La mère lui a promis que ça n’arriverait pas et on ne comprend pas que l’institution n’aide pas à sécuriser les enfants, à les protéger.

 © Jour2fête

Dans la pièce où leur avenir se décide, il y a un protocole à suivre, pesant. D’abord, la mère et le père sont assis côte à côte et on sent que cette proximité met les nerfs de la mère à vif. « C’est une oppression » a dit le juge Durand qui a adoubé le film pendant le débat auquel il a participé le 25 septembre 2025. Ensuite, personne n’a le droit de parler tant que la parole ne lui a pas été donnée, donc la mère, qu’on sent à bout, épuisée, n’a pas le droit de réagir aux paroles de son ex-mari ou de la défense de son ex-mari et c’est lourd, de voir sa propre parole mise en cause, une fois de plus, sur un sujet aussi vital. Souvent, alors que quelqu’un d’autre parle, la caméra est sur elle, attentive à la moindre de ses réactions. La mise en scène est pensée pour que le spectateur épouse son point de vue. Or, elle est tellement à cran qu’on peut se demander si elle n’exagère pas, si elle n’est pas « hystérique », comme on qualifie si souvent et si vite les femmes. Elle en est consciente, alors sa voix tremble mais en même temps, elle se contient parce qu’elle sait qu’elle ne doit pas parler trop vite, ni crier, ni pleurer, même si elle a peur de ne pas être crue.

« C’est un film qui remet les choses à leur place » a dit aussi le juge Durand. Parce que quand enfin elle peut parler, quand sa parole, longtemps empêchée, se déploie, ça fait de l’effet. L’actrice qui la joue, Myriem Akheddiou, est impressionnante, particulièrement dans un moment où elle a un monologue de plusieurs minutes, dans un plan séquence où la caméra ne la quitte pas et où elle est extraordinaire de justesse et de précision.

« Si cette actrice ne remporte pas le prochain César de la meilleure actrice, c’est à n’y rien comprendre » a dit Stéphane Goudet © Jour2fête

On a apprécié que les mots « On vous croit » soient prononcés à la fin, même si on ne dira pas ici qui les dit et à qui. L’essentiel est que ce sont des mots qui sauvent. « Cela ne se fait pas de dire ça dans la réalité, a dit le juge Durand, et c’est terrible« . On a apprécié que le film se termine sur le moment de décompression après le procès. Un procès, ça se termine toujours par « l’après » et dans cet « après », on décompresse forcément, après avoir tellement stressé. On a apprécié que ce moment-là soit inclus dans le film. Le petit garçon, qui était prostré au départ, physiquement plié en deux, se détend, c’est comme si son corps s’allégeait. De même qu’aux personnages, cette scène apporte une respiration au spectateur. Enfin, il peut souffler, enfin il est délivré de l’angoisse qui l’étreignait, et c’est ainsi qu’on réalise que le dispositif du film a consisté à nous mettre dans le même état de stress, même si évidemment dans une bien moindre mesure, que sa protagoniste.

Compte-rendu du débat du ciné-café du 11 octobre 2025

Isabelle DEVAUX

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