Dahomey, de Mati Diop

Ce film est un documentaire-fiction sur la restitution de 26 œuvres du Musée du quai Branly-Jacques Chirac au Bénin en 2021. Ces objets avaient été pris en 1892 au moment de la conquête du royaume du Dan-Homè par le colonel Alfred Amédée Dodds. Ils avaient été donnés au Musée d’ethnographie du Trocadéro, avant d’être rassemblés au Musée du quai Branly.

Emmanuel Macron, dans son discours de l’université de Ouagadougou en 2017, avait défendu l’idée de la restitution des œuvres d’art emportées lors de la conquête coloniale. En 2018, le rapport remis par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, recommandait la restitution de ces œuvres (1). Nombre de conservateurs et de musées restent opposés à ces restitutions qui constituent selon eux une perte d’argent et d’influence du vieux continent. L’autre argument mis en avant est celui d’une absence de structure capable de recevoir ces œuvres une fois revenues dans leur pays d’origine. Ce documentaire fait la preuve éclatante, non seulement de l’engouement d’un pays tout entier pour le retour de ces objets, mais aussi de la lucidité d’une partie de la jeunesse vis-à-vis de la restitution. Les débats animés des étudiants de l’université d’Abomey-Calavi, organisés par Mati Diop, montrent clairement qu’ils sont très circonspects à l’égard des conditions de la restitution, mais aussi du caractère insolite du retour de ces objets.

Le film commence par des voix censées émaner des œuvres d’art qui se demandent si c’est la fin de leur exil et qui expriment leurs doutes, leur appréhension, leur désarroi avec des voix d’outre-tombe, tout en subissant comme des esclaves l’enfermement, le transport, la mise en vitrine. La langue utilisée est le fon, langue du royaume du Dan-Homè et majoritairement parlée au Bénin. Cependant, si ces paroles n’étaient pas sous-titrées, il serait très difficile pour un locuteur fon de comprendre ce qui se dit ici, en raison de la tonalité prêtée aux sculptures, une façon peut-être d’élargir le propos, la question du retour des œuvres se posant dans toutes les ex-colonies. Autre particularité utilisée par la réalisatrice, la transcription en français inclusif des propos tenus par les objets qui rend parfois difficile la compréhension du texte. Les infinies précautions qui entourent le retour des 26 œuvres au Bénin sont montrées en détail, ainsi que les scènes de liesse populaire qui entourent la réception de ces objets. J’ai été personnellement témoin du nombre impressionnant de visiteurs au palais de la Marina de Cotonou.  Cela tord le cou à un autre argument des opposants à la restitution qui agitaient l’idée d’un retour d’objets ni souhaités ni accueillis dans des structures appropriées. La grande question qui se pose en filigrane est celle du retour sur la terre natale d’objets qui ont perdu leur charge magique ou religieuse. Ces œuvres sont-elles destinées à entrer dans des musées alors qu’elles ont été conçues comme des objets de culte vôdoun ou comme des objets d’apparat ? La question n’a pas manqué d’être débattue par les étudiants de l’université, bien conscients des enjeux de la restitution. Les pratiques et les rites animistes ne semblent pas avoir souffert considérablement de l’absence de ces objets. Mais leur représentation a manqué dans la transmission de l’histoire du pays.

Ce film est donc éminemment politique dans la mesure où il prend clairement position en faveur de la restitution des œuvres d’art dont l’Afrique a été spoliée pendant la période coloniale et dont elle réclame le retour depuis les indépendances. Tous les arguments contre ces restitutions semblent maintenant vains et inopérants face à la lucidité des acteurs chargés de recevoir ces objets, conscients qu’ils sont des enjeux du retour en Afrique de ces œuvres d’art.

Brice Boussari


  • Felwine Sarr, Bénédicte Savoy : Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle, Paris, Philippe Rey, 2018.

À voir également : Les Statues meurent aussi de Chris Marker.