La dernière reine

Mercredi 19 avril 2023, au cinéma Le Méliès de Montreuil, Stéphane GOUDET, directeur artistique, reçoit Adila BENDIMERAD et Damien OUNOURI qui ont co-écrit, co-réalisé et interprété le film La dernière reine, accompagnés des acteurs Ahmed ZITOUNI et Imen NOEL ainsi que du producteur Patrick SOBELMANN (Agat Films). Première demi-heure de la rencontre filmée ; retranscription de la rencontre ensuite par Isabelle DEVAUX…

C’est l’histoire d’un royaume dont la reine devise gaiement avec ses servantes et ses suivantes dans le patio d’un palais oriental, en mangeant des pâtisseries et en buvant du thé à la menthe. Et pendant ce temps, à quelques centaines de mètres, des corsaires féroces menés par Arudj Barberousse quittent leurs bateaux et s’avancent, armés d’épées et de poignards, et massacrent les hommes qui viennent défendre la ville. C’est l’histoire d’un roi qui va s’associer avec ces brigands pour combattre les Espagnols, parce qu’Alger à cette époque est attaquée par un envahisseur après l’autre, et qui après avoir réussi à chasser ce nouveau danger, se fait occire par Barberousse, qui veut prendre sa place.

C’est une histoire pleine de bruit et de fureur et ce n’est pas un hasard si je cite Shakespeare. Quand j’étais adolescente, jeune adolescente, quand j’avais 12, 13 ans, à mon époque, sur la trois (il n’y avait que trois chaînes à l’époque à la télévision), les dimanches après-midi ils passaient des pièces de Shakespeare. On avait cinq heures de Shakespeare d’affilée, joué par les acteurs de la Royal Shakespeare Company, et au bout d’un moment je ne regardais même plus les sous-titres tellement l’histoire et la langue me fascinaient. La Dernière Reine m’a fait penser à ça, je me suis revue regardant ces pièces à la télévision ces dimanches après-midis, en regardant ce film. Il y a une scène où Barberousse et la Reine sont sur le même cheval, c’est leur première rencontre en face à face après plusieurs échanges par émissaires interposés. Ils se regardent dans les yeux et chacune de leurs phrases commence par : « On dit que vous… » « On dit que vous êtes comme ci… » « On dit que vous avez fait cela… » Ces quelques phrases sont aussi bien écrites que du Shakespeare et quelle merveilleuse idée de les imaginer s’aborder en rapportant chacun à l’autre ce qu’ils ont entendu dire de lui, d’elle.

C’est une histoire d’hommes qui convoitent le pouvoir détenu par d’autres hommes, de femmes qui manoeuvrent dans l’ombre d’abord, puis à découvert. Plus on avance, plus c’est une histoire de femmes qui résistent aux hommes qui veulent les soumettre. Et vous savez quoi ? Cette histoire, c’est celle de l’Algérie. On est à Alger en 1516. Vous avez déjà vu un film qui se passe à Alger en 1516 ? Moi non, alors j’étais très curieuse, et je me suis retrouvée devant :

  1. une épopée, un film d’aventures trépidant, où il se passe sans cesse quelque chose ;
  2. une splendeur visuelle. Les décors, les costumes, le travail du chef opérateur nous en mettent plein la vue ;
  3. un geste politique

« Faire apparaître ce qui a disparu ». Quand le couple de réalisateurs a décidé d’écrire sur Zaphira, un personnage mythique de l’Histoire de l’Algérie, une reine qui a résisté au chef des pirates qui la convoitait, ils se sont vite rendu compte qu’ils n’avaient jamais VU cette histoire, et ils se sont vite dit que ce n’était pas normal. « Il y a un trou noir dans notre mémoire collective. Pourquoi on n’a pas accès à notre Histoire pré-coloniale ? » Les Arabes, dans les films américains, ils portent les mêmes costumes, que le film se passe en Algérie, au Maroc… jusqu’en Iran qui est peuplé non pas d’Arabes mais de Perses. « Alors on a fait des recherches très poussées pour être le plus précis, le plus justes possible. »

Ceci étant, si les scènes se déroulent dans des décors splendides, si les acteurs portent des costumes à faire rêver, s’il y a plein de choses à regarder dans ce film, il n’empêche que les personnages existent, il y a de vrais enjeux. Dans plein de films historiques, les costumes et les décors écrasent les personnages ; là c’est le contraire : les personnages sont devant, ils sont ce qu’on voit en premier, tout en étant nourris de toute cette beauté. » Pendant le débat, un acteur a cité cette phrase du costumier : « Si le spectateur remarque le costume, c’est que le travail n’est pas bien fait ».

Au milieu de tous ces Arabes surgit soudain la blonde Nadia Tereszkiewicz. A travers elle, on apprend que parmi les ancêtres des Algériens, il y a eu des Scandinaves. Des milliers de Scandinaves ont été réduits en esclavage par les pirates qui les enlevaient et les amenaient avec eux, après, en Afrique du Nord. S’ils adoptaient la religion musulmane, ils pouvaient s’affranchir et progresser dans ces sociétés.

« On a été confrontés à un double effacement : celui de l’Histoire des femmes et celui de l’Histoire de l’Algérie » a dit la réalisatrice. Voilà comment un film peut rendre images et visages à une époque non seulement révolue mais délibérément enfouie. Qui plus est, à travers une histoire où deux femmes se sont élevées, de deux manières différentes, contre la domination des hommes. Gloire à elles et à celles et ceux qui leur redonnent vie !