
Put your soul on your hand and walk est un film qui nous fait ressentir la guerre, comme rarement. C’est un documentaire avec un dispositif particulier : Sepideh Farsi, cinéaste iranienne, autrice déjà de plusieurs documentaires, a voulu se rendre à Gaza après le déclenchement de la guerre post 7 Octobre 2023 par le gouvernement israélien, avec l’intention d’en réaliser un nouveau. Mais elle n’a pas eu l’autorisation de pénétrer sur ce territoire. Alors qu’elle résidait en Egypte, un ami lui a proposé de la mettre en contact avec une jeune photographe gazaouie, Fatma Hassona. Dès lors, elle s’est filmée appelant la jeune femme, et chaque fois qu’elle réussissait à la joindre, elle a filmé son téléphone, sur lequel le visage lumineux de Fatma (qu’elle appelle Fatem, dans le film) apparaît.
On peut vraiment parler d’apparition. Chaque fois que Fatem apparaît, l’écran s’illumine, parce qu’elle a l’énergie et l’enthousiasme de ses 24 ans, et surtout, elle a un sourire qui crève l’écran. C’est donc un documentaire-témoignage parce que chaque fois qu’elles arrivent à entrer en contact, Fatma explique à Sepideh de quoi son quotidien est fait. Elle lui montre, en retournant son portable, les immeubles détruits autour du sien, où plus personne n’habite, elle lui raconte la mort omniprésente, ses rêves : que la guerre s’arrête, être libre, devenir journaliste, ce qu’elle est déjà un peu, surtout quand elle sort filmer, à la demande de Sepideh Farsi, ce qu’elle voit dans les rues de Gaza. Rien que des immeubles détruits, des monceaux de gravats de part et d’autre de larges rues désertes. Elle lui raconte la raréfaction de la nourriture, elle se moque tendrement de son jeune frère qui regarde furtivement cette étrangère non voilée avec qui sa sœur parle, elle lui envoie une petite chanson de sa composition, et puis… peu à peu, elle dépérit. Rarement l’expression de Jean-Luc Godard, « Le cinéma filme la mort au travail », aura pu s’appliquer avec autant de pertinence. Parce que Fatma, malgré sa jeunesse et à cause de la famine qui s’installe, a de moins en moins d’énergie.
Surtout, à un moment, les images disparaissent, l’écran se fait complètement noir, et on entend un bombardement. On a l’impression d’être en danger soi-même tellement c’est puissant. C’est un témoignage par le son de la brutalité absolue, ultime d’un bombardement. On pense à tous les civils et tous les enfants qui vivent dans la terreur de ce summum de violence.


Une réflexion de Fatma Hassona nous a choqués : Sepideh lui demande ce qu’elle pense du 7 Octobre et elle répond que c’est une journée qui a donné de l’espoir aux Palestiniens parce qu’ils ont montré au monde qu’ils pouvaient résister. Peut-on dire qu’appeler « résistance » le fait de massacrer des civils, c’est inacceptable, inaudible ? Ou doit-on s’interdire de juger parce que ne vivant pas sous les bombes, on ne peut pas savoir si on n’éprouverait pas aucune compassion, nous non plus, pour le peuple au nom duquel on est tué, soi ou ses proches ? Ce qui est sûr, c’est que la haine, et l’absence d’empathie qui est une de ses expressions, est incompatible avec la paix.
Le 15 avril 2025, Sepideh Farsi a appelé Fatem pour lui apprendre que leur film était sélectionné pour être diffusé au festival de Cannes. La nuit suivante, un bombardement ciblé tuait toute la famille (sauf sa mère !) de Fatma Hassona. Sepideh Farsi est-elle responsable de sa mort ? L’a-t-elle mise en danger, en en faisant une tête de proue du journalisme palestinien, particulièrement visé par l’armée israélienne ? Quand elle est venue nous présenter le film en juin, elle a admis être hantée par cette question, mais elle nous a aussi dit qu’outre sa participation à ce documentaire, avant sa mort, des photographies de Fatma Hassona avaient été publiées dans le journal anglais The Guardian, et elle avait donné une interview à la chaîne Al-Jazeera. Donc elle avait déjà pu se faire repérer en tant que journaliste. Et puis, comme disait l’écrivain algérien Tahar Djaout : « Si tu parles, tu meurs. Si tu te tais, tu meurs. Alors, dis et meurs ! »
Compte-rendu du débat du ciné-café du 11 octobre 2025
Isabelle DEVAUX
Pour en savoir plus : Dossier de presse du film.