Megalopolis, de Francis Ford Coppola

Les spectateurs espérant revivre le miracle d’Apocalypse Now (1979), Le Parrain (1972) ou Dracula (1992) seront rapidement déçus. Et dire « rapidement » est sans doute optimiste, car l’épreuve dure près de trois heures, truffées de scènes superflues censées illustrer la décadence d’une Amérique devenue Nouvelle Rome, mais qui révèlent surtout la chute libre du cinéma de Francis Ford Coppola, gâché par un immense budget qui a certainement dû remplir les poches des vedettes hollywoodiennes.

La tension devrait être assurée par la rivalité entre le maire de cette Nouvelle Rome, Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito), partisan obstiné de l’acier et du béton, et un jeune prodige, César Catalina (Adam Driver), défenseur d’un nouveau matériau prometteur : le mégalon. Soutenu initialement par le patriarche de sa riche famille, le banquier Crassus III (Jon Voight), Catalina devra déjouer les machinations de son cousin débauché Clodio (Shia LaBeouf). Son meilleur allié sera pourtant la fille de son adversaire, Julia Cicero (Nathalie Emmanuel), qui ravivera en lui la flamme de l’amour et, donc, de son pouvoir, dans un cœur encore en deuil…

Car, bien sûr, Catalina a le pouvoir surnaturel d’arrêter le temps. Pourquoi ? Comment ? Ce mystère devrait vous tenir en haleine tout au long du film, mais trois heures, c’est beaucoup trop, et à la fin, cela apparaît pour ce que c’est : un artifice narratif à trois sous, à peine expliqué. Certes, cela donne lieu à quelques belles images, dans un film autrement saturé de scènes générées par ordinateur, comme on a vu récemment dans Poor Things (Lanthimos, 2024). Dans ses meilleurs moments, la Nouvelle Rome rappelle plutôt l’atmosphère réussie du classique Metropolis(Lang, 1927) ou encore celle de Sin City (Miller, Rodriguez, 2005), avant que les logiciels d’infographie ne viennent ruiner la cinématographie avec des finitions encore trop imparfaites. C’est pourquoi l’utopie de Catalina apparaît bien plus hideuse, visuellement, que le « Gotham » de Cicero.

Le jeu des acteurs reste convaincant, malgré la difficulté d’incarner des personnages aussi creux, sur fond d’un discours idéologique qui ne fait qu’enfoncer un peu plus cette expérience cinématographique ratée. C’est sans doute le danger de se rendre un hommage à soi-même : on devine que le génie du monde utopique du cinéma qu’est Coppola se cache sous le personnage de Catalina… Vanité des vanités ! Ce personnage, angélique du début jusqu’aux dernières minutes, ne peut pas porter le poids de l’argument jusqu’à la fin.

Ce n’est pas tout. Comme souvent dans ce genre de futurisme rétro, les femmes ne sont que des courtisanes qui peuvent aspirer à devenir de bonnes épouses. Clodio (Shia LaBeouf) hérite du rôle ingrat d’une sorte de Néron, tantôt efféminé, tantôt violent, qui passe d’une robe à une tenue d’emo punk des années 2010. Il incarne ce monstre qui émerge entre l’ancien et le moderne, une menace « populiste » qui, l’espace d’un instant, enflamme des foules irrationnelles, de préférence à la peau foncée. Finalement, il ne s’agit que d’un danger passager, et l’ancien décadent et le neuf pur et lumineux parviennent à s’entendre sans lui. Un invraisemblable déchet nucléaire de l’ère soviétique est là pour prendre la place d’une véritable menace et d’un véritable adversaire dans ce scénario défaillant. On devrait donc se réjouir que Rome ne sombre pas, car si elle tombe, c’est l’Amérique qui tombe, et avec elle, le monde, déclare l’un des personnages. Vu de l’extérieur, il est difficile de voir en quoi la chute de cet empire nous plongerait dans les ténèbres. Il ne nous lèguera pas le droit romain, mais plutôt un long historique de guerres, surtout là où le pétrole abonde et, par conséquent, la démocratie manque.

En somme, un budget démesuré, un film trop long, un scénario grandiloquent et présomptueux – certains diront ambitieux, parsemé de citations de Marc-Aurèle et Cicéron –, caprice d’un réalisateur qui se permet de demander notre temps et notre argent grâce à un grand nom qu’il a certes mérité, mais qu’il ne mérite plus forcément. Je vous dirais donc ceci : la chute de Coppola n’est pas celle du cinéma. Allez donc voir un autre film.

Andrés CAMARILLO