Ramener des mondes hétérogènes, des natures de jeu différentes, des nationalités et des origines différentes, et mélanger tout ça… C’était ça le projet, le coeur du film.
Davy Chou
Le film nous a été présenté par l’équipe, et un film gagne toujours à être présenté par l’équipe. Ecouter les gens qui l’ont fait venir le défendre, ça met le spectateur dans une disposition d’ouverture, ça ouvre toutes les écoutilles. La jeune femme qui interprète le personnage principal, qui n’est pas actrice mais artiste plasticienne dans la vie, a dit : « Quand j’ai lu le scénario j’y ai découvert une jeune femme asiatique qui n’est ni douce ni sexy, à l’antipode des clichés attachés ici aux femmes asiatiques. C’est ce qui m’a donné envie de la jouer » L’autre jeune femme qui interprète sa première amie coréenne dans le film, pas plus actrice puisqu’elle vend des chocolats dans la vraie vie (!) a dit la même chose, et j’ai pensé, à les écouter exprimer le même besoin d’être représentées autrement, que ça devait leur peser, aux jeunes femmes d’origine asiatique, d’être réduites à un cliché sexiste, pour que, n’étant actrice ni l’une ni l’autre, elles aient eu envie de passer devant la caméra pour incarner des femmes vraies, ni douces ni « sexy ».
Après, ils ont passé le micro à Louis-Do de Lencquesaing, qui est un acteur professionnel, lui, et il a dit : « Pour une non actrice, Park Ji-Min s’est révélée une grande actrice, trois fois actrice puisqu’elle interprète trois femmes, en fait, dans ce film ; et bien meilleure que bien des actrices ! »
Elle interprète trois femmes ? Non, elle en interprète une qui change tellement, d’un moment à un autre de sa vie, que l’expression « Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre » semble avoir été inventée pour elle. Ça la rend fascinante, mais pas que.
C’est rare, les films qui osent avoir pour protagoniste principale une personne antipathique ; mais voilà, Freddie n’est pas aimable et ne cherche pas à l’être. Il faut dire que la vie n’a pas été aimable avec elle. Abandonnée par ses parents coréens, elle a été adoptée par un couple de Français qui lui ont fait une place, lui ont permis d’avoir une bonne santé, une bonne éducation, etc ; mais rien ne remplace des fondations friables. Freddie en prend conscience à l’occasion d’un séjour non prévu dans le pays où elle est née. Par un hasard qui ressemble à un acte manqué, elle se rend à Séoul pour 15 jours de vacances parce que son vol pour le Japon a été annulé et qu’elle a pris l’avion suivant, au hasard. Elle a le contact facile donc elle se lie rapidement d’amitié avec deux jeunes Coréens parlant le français et, alors qu’elle leur raconte son parcours d’adoptée, ils lui suggèrent ce qui ne lui était pas venu à l’esprit : et si elle profitait de ce séjour improvisé pour reprendre contact avec ses parents biologiques ?
Elle ne le sait pas quand elle entame les démarches, mais c’est comme ouvrir la boîte de Pandore. Le spectateur découvre avec elle qu’il y a eu tant d’enfants abandonnés en Corée, pas seulement pendant la guerre de 1950-53 mais jusque bien après, que l’état coréen a mis en place une institution qui aujourd’hui met en relation les enfants adoptés qui le demandent et leurs parents biologiques, si ceux-ci le veulent bien. C’est très organisé, presque ritualisé, mais ce que Freddie, jeune femme tout ce qu’il y a de moderne et indépendant, n’avait pas calculé, c’est : qu’est-ce qui se passe, si elle se heurte à un refus d’un parent ? Qu’est-ce que ça ouvre comme abîme ?
Pendant la première partie du film, on suit Freddie pendant ce que je viens de vous raconter et je pense à une scène, par exemple, qui vous fera comprendre pourquoi, malgré son caractère rude et entier, une empathie se crée du spectateur vers elle. Elle est dans un café avec l’amie qu’elle s’est faite dans les premiers jours et un garçon qui ne parle pas français et qui est tombé amoureux d’elle. Elle le rembarre méchamment et insiste presque en riant, se moque de lui puis va danser, parce que la musique qui passe lui plaît. Quand elle revient, le garçon est parti, son amie est restée et elle lui dit : « Tu es une des personnes les plus tristes que j’aie jamais rencontrée ». Elle pourrait lui reprocher sa dureté, lui faire la morale, mais non, et par cette remarque elle retourne le spectateur. Ah oui, se dit ce dernier, il y a un fondement à cette cruauté…
Puis un panneau nous annonce « 2 ans plus tard » et c’est une toute autre Freddie que l’on retrouve. Toujours aussi rude et entière, donc on la reconnaît bien, mais elle a changé d’aspect, de look, de métier, de vie. Après, c’est un panneau « 5 ans plus tard » et l’on découvre une troisième Freddie, encore différente et pourtant c’est toujours bien elle, brusque et cassante, toujours pas arrimée ni ancrée, dans une fuite en avant.
D’une étape à l’autre de sa vie, le film nous fait ressentir profondément ce qu’elle ressent, et seul un film peut nous faire ressentir cela, parce qu’elle n’est pas du genre à se confier. Donc il y a des films qui nous font découvrir des pays auxquels, sans eux, on n’aurait pas accès ; et d’autres qui nous font découvrir des êtres auxquels, sans eux, on n’aurait pas accès non plus.
Isabelle DEVAUX
Envie de savoir pourquoi tant d’enfants coréens ont été adoptés ? Ecoutez ce grand reportage de RFI.