
BANZO, un film de Margarida Cardoso – Date de sortie : 25 décembre 2024 – Durée : 2h07 – Pays de production : Portugal, France, Pays-Bas.
Quand la mort est préférable à la vie… En 1907, sur l’île de Sao Tomé-et-Principe, à 240 km au large du Gabon, un médecin portugais arrive sur demande des autorités coloniales pour soigner les Noirs employés comme des esclaves sur des plantations de cacao – alors que l’esclavage a été aboli en 1869 par le Portugal. Mais comment soigner des gens qui se laissent mourir ? « Pourquoi voulez-vous mourir ? », demande le docteur aux malades. « Nous ne voulons pas mourir : nous voulons rentrer chez nous »… C’est ainsi que le médecin découvre que les Noirs ne sont pas venus de leur plein gré, contrairement à ce qu’on lui a fait croire pour le faire venir.
Leur mal est appelé « banzo », du verbe cubanzar, « penser » et du nom mbanzar, « village », en langue kimbundu, parlée en Angola et au Congo.
Que serait cette histoire, racontée par un Africain ? Depuis ses débuts de cinéaste, la portugaise Margarida Cardoso explore l’histoire coloniale de son pays à travers films de fiction et documentaires. Le point de vue qu’elle adopte ici est celui du médecin, donc un Blanc, mais doté d’une conscience aigüe de l’offense faite aux Noirs déportés loin de leur terre natale pour servir des colons. Il a les traits fins de Carloto Cotta, qu’on n’a pas oublié depuis qu’il a pleuré d’amour dans le sublime Tabou de Miguel Gomes.
Quand un nouvel arrivage d’Africains se prépare – pour remplacer les décédés – le gouverneur décide d’éloigner le docteur avec ses malades à l’intérieur des terres, pour éviter que l’épidémie de dépression fatale ne contamine les nouveaux arrivants. La luxuriance de la végétation dans laquelle ils s’enfoncent contraste avec la faiblesse des corps transportés d’une infirmerie à l’autre, pour mourir loin des regards.
Un photographe accompagne la cohorte des indésirables. Il est Noir et contrairement à ses semblables, il est libre. Mais ses photographies résultent de mises en scène qui montrent « les aspects positifs de la colonisation », comme diraient les hommes politiques bien de chez nous, regrettant sans honte le temps où la France pillait des pays et détruisait des cultures et des populations par la pratique de l’esclavage. Auprès du médecin, il apprendra à se réapproprier son regard pour documenter de façon différente – plus proche de la réalité et plus personnelle – ce qui se déroule sous ses yeux. La colonisation est si prégnante que même le regard du colonisé, il faut le décoloniser.


Lent, à l’image de tous ces malades dont la mort s’empare doucement, le film nous plonge dans une ambiance de décrépitude, dans un cadre naturel de toute beauté mais vicié par la violence qui s’y déploie. La contrainte sur les corps est de tous ordres : on nourrit de force ceux qui se laissent mourir et on met une muselière aux valides qui mangent de la terre pour hâter leur fin. En plus du désespoir des esclaves, il y a celui d’Adélia, servante de la femme du gouverneur, que cette dernière décide de séparer de ses enfants pour la ramener avec elle, à son seul service, au Portugal.
Un film pour apprendre à regarder. Mieux : pour décentrer son regard.
Isabelle Devaux
Et pour en savoir plus : Dossier de presse.